Kevin Lecuivre est le directeur général et l’un des fondateurs de Coppernic, société aixoise qui élabore et commercialise des solutions biométriques, RFID, et d’identification sécurisées. Pour Provence Business, il se confie sur les perspectives de développement et sur la manière dont il intègre l’intelligence économique à la stratégie de l’entreprise pour accélérer sa croissance à l’international.
Provence Business : Pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours ?
Kevin Lecuivre : Je suis directeur général de Coppernic, l’un des membres fondateurs de la société en 2009. J’ai un diplôme d’Audencia, l’école de commerce de Nantes. J’ai démarré ma carrière en 2000 en Afrique du Sud en tant que responsable marketing d’une filiale d’une société qui s’appelait Psion Teklogix à l’époque, qui travaillait déjà dans les terminaux mobiles, mais plus orienté dans la traçabilité logistique, entrepôts et autre.
Puis j’ai rejoint la France, et depuis 2002, je suis dans ce secteur d’activité des terminaux professionnels pour la mobilité, pour la collecte des données sur le terrain. Ensuite, j’ai été responsable des grands comptes et des projets stratégiques avec des clients comme la SNCF, EDF et des projets de mobilité dans le transport public. Nous avons déployé en 2005 les premiers projets d’équipement des contrôleurs de train, sur l’ensemble du territoire national.
Le 28 novembre 2008, à Aix-en-Provence, nous avons créé Coppernic, avec 11 personnes qui travaillaient chez Psion Teklogix. Nous avons élaboré des modules spécifiques que nos concurrents ne réalisaient pas : des capteurs RFID, des capteurs biométriques, des capteurs de cartes à puce. On s’est dit que sur le marché il n’y avait pas de société qui avait la capacité de créer des solutions mobiles pour des secteurs d’activité qui en ont besoin.
Parlez-nous de Coppernic.
Aujourd’hui Coppernic a vraiment deux métiers, celui d’être fournisseur, concepteur, fabriquant de terminaux mobiles à forte valeur ajoutée pour 4 grands secteurs d’activité ; et le transport public, le secure ID, le contrôle d’accès et l’animal tracking. Ce sont les 4 grands secteurs avec une position dominante dans le marché du transport public. En France, on équipe plus de 80% des villes de 120 000 habitants avec nos produits. On cherche à doter les agents de terrain de contrôle, par exemple, la RTM est équipée pour faire du contrôle de la vente, de l’accompagnement des usagers des réseaux de transports publics.
La crise a-t-elle renforcé les besoins en sécurité et traçabilité ?
Oui et non ! En effet, il y a des besoins d’avoir plus de contrôles au niveau des frontières, on parle de gestion des frontières des entrée et sorties de l’espace Schengen par exemple. C’est vrai que la crise COVID montre qu’il y a un besoin de contrôles un peu plus important, ne serait-ce que pour éviter la propagation de l’épidémie. Après, nous, on a essayé d’aller plus loin, d’apporter des outils mobiles, car la mobilité est intéressante lorsqu’il faut mettre des choses rapidement en place sans une architecture lourde derrière.
Notre savoir-faire : c’est de collecter de la donnée au bon endroit, au bon moment, dans les bonnes circonstances. Par exemple, dans plusieurs pays dans le monde, on commence à effectuer des prises de température pour autoriser une personne à entrer dans un lieu public, nous travaillons également sur ces points. Nous nous sommes assez vite heurtés à des contraintes règlementaires autour de la CNIL et des données personnelles.
En France, les freins ne sont-ils pas d’abord culturels ?
Absolument, ce sont des contraintes d’abord culturelles que l’on a depuis plusieurs années. Lorsque l’on déploie des systèmes biométriques en Afrique pour contrôler des populations qui n’ont pas d’identité au sens légal du terme, les gens accueillent nos solutions avec une grande bienveillance et enthousiasme. C’est vrai qu’en France, on a cette particularité culturelle de dire : je suis capable de donner mon empreinte digitale quand je déverrouille mon smartphone à un Apple, un Google à tous les GAFA possibles sans avoir de contrôle, mais lorsque l’on propose des solutions avec le contrôle de la CNIL, et toutes les instances et les certifications RGPD nécessaires, on a encore cette réticence culturelle qui est importante.
Ce changement culturel interviendra quand les gens seront conscients que le contrôle est pour améliorer les choses. Lorsque l’on évoque la collecte de données, notre coeur de métier, que ce soit dans le privé ou dans le public, dans le stationnement payant sur voirie, c’est pour améliorer les politiques de stationnement ou de transports publics, pour qu’ils soient organisés de manière plus fluide et pertinente pour les administrés. Les données permettent aux décideurs, politiques ou autres, d’améliorer la productivité, l’efficacité et l’environnement global de leurs missions.
Comment envisagez-vous la digitalisation de la société, la croissance de l’utilisation et de l’optimisation de la data ?
L’ADN de Coppernic a toujours été dans cette dimension éthique. On aime bien dire que nos solutions sont Empowering Human Workers. Donner le pouvoir aux utilisateurs terrains tous les jours, c’est un message fort. La donnée est devenue un élément très important, on parle d’intelligence artificielle, de deep learning, mais cette donnée doit être au service de l’amélioration du bien être quotidien. Notre vision d’entreprise est d’accompagner nos clients pour leur permettre de se concentrer sur leurs métiers en fournissant des terminaux mobiles d’une part mais également des services intégrateurs de systèmes complexes.
Dans ces services d’intégrateurs, depuis 2018, on a lancé une réflexion stratégique autour de la mobility, connected data et analytics. L’activité des terminaux consiste à aller chercher de la donnée sur le terrain, mais il faut en faire quelque chose de pertinent pour l’entreprise qui souhaite avoir cette donnée. L’idée est de permettre à l’entreprise d’améliorer sa rentabilité mais également les conditions de travail de ses collaborateurs. On est attaché à la qualité de nos produits dans les mains des utilisateurs. La réussite d’un projet informatique mobile passe avant tout par l’adoption du projet des utilisateurs finaux.
En 2012, vous avez vendu 33 500 boîtiers au Ghana dans le cadre des élections pour vérifier l’identité des électeurs. Vous annonciez alors vouloir étendre le dispositif à d’autres pays, qu’en est-il ?
Le système du contrôle des votes a été le premier à être mis en place en 2012 pour les élections au Ghana. Il a montré sa pertinence comme sa légitimité démocratique puisque les résultats en 2014 et 2016, à chaque fois, étaient serrés. Le contrôle et l’identification des votants a été accepté par la population qui avait l’impression d’avoir ce pouvoir sans tricherie.
Malheureusement, on n’a pas réitéré l’expérience au Ghana car les projets d’identification de vote dans les bureaux se font maintenant avec des produits chinois et standards qui sont devenus de grands acteurs du marché. On est en train de réfléchir avec nos partenaires pour développer quelque chose qui ne soit pas dans une gamme de produits standards. En France, lorsque l’on regarde nos cartes d’électeurs papiers, nous sommes à des années lumières de ce qui se passe en termes de digitalisation des processus électoraux démocratiques en Afrique, mais on peut aussi citer l’Asie, l’Amérique Latine qui sont en grand développement et qui ont besoin de sécuriser tous leurs processus démocratiques pour se construire et passer un cap dans leur développement économique.
Comment vos dispositifs sont-ils acceptés à l’international ?
Nos partenaires et nos relais locaux à l’international s’en occupent, ils connaissant les cultures et les relais locaux. Nous apportons de la technologie, l’acceptation se fait au niveau local.
En Afrique, avec quels pays travaillez-vous ?
L’Ouganda, le Botswana, l’Afrique du Sud ou encore la Zambie : toujours dans le registre de l’identité sécurisée au travers de la biométrie, comme l’équipement des forces de police pour venir lire lors de contrôle l’identité, les passeports, les cartes d’identité électroniques, il y a le vote, l’enregistrement de l’état civil de la personne, le KYC bancaire pour contrôler l’identité d’une personne lorsqu’elle vient acheter une carte SIM etc. Nous intervenons également dans le border control, un gros sujet en Europe puisque la Commission Européenne a décidé en 2022 que tout l’espace Schengen devait être doté de systèmes de contrôles aux frontières maritimes, terrestres ou aériennes.
On a déjà gagné des affaires importantes aux États-Unis notamment, où les coast guards américains sont équipés de nos solutions pour les contrôles aux frontières maritimes. Autour de ces sujets, on travaille avec le Maroc par exemple qui est l’un de nos partenaires où nous avons déployé des solutions pour les forces de police pour lire les permis de conduire et les cartes grises électroniques. On a beaucoup de sujets autour du secure ID.
L’aspect élections est un sujet sur lequel nous travaillons, car on se rend compte que nous avons du mal à concurrencer les produits chinois standards très bas coûts qui peuvent, certes, répondre à des besoins, mais qui ne répondront pas à tout, notamment dans l’acceptation par la population dont vous parliez. Le produit chinois est un produit standard, donc il n’est pas développé spécifiquement pour le bureau de vote, et un bureau de vote en Afrique, c’est très loin d’être un bureau de vote en France, les conditions sont très différentes.
Comment avez-vous vécu cette année 2020 ?
En 2020 on a plus que résisté, on a préparé le rebond. On arrive à 50 personnes avec les nouvelles recrues. On a embauché 8 personnes, des profils structurants sur deux postes clés, un directeur financier et RH qui nous a rejoint début 2020 puis en mai 2020 un directeur commercial. Des profils en gestion de projets, techniques, 8 embauches, 2 profils développeurs soft ware car on va vers la data analyse et les perspectives pour 2021, un directeur marketing produit, qui est pour nous le 4ème pilier de la fondation. On a renforcé notre structure pour se permettre d’atteindre un budget ambitieux en 2021 puisque il est en chiffre d’affaires de 60% supérieur à ce que l’on a réalisé en 2020.
Quelles sont vos perspectives pour 2021 ?
On est sur beaucoup de marchés. D’autres marchés sont envisagés géographiquement. Le développement international est une « top priorité » pour nous, notre directeur marketing qui va nous rejoindre au 1er avril est Canadien. La Covid a permis de lancer ce type de recrutement. On s’internationalise et on souhaite continuer à se renforcer à l’international. Deux autres recrutements sont en cours dans le développement logiciel et le développement hotline.
Nos lecteurs sont des entrepreneurs et des investisseurs, quels conseils leur donneriez-vous ?
Pour les investisseurs, je pense qu’il faut qu’ils aient confiance dans les sociétés qui dégagent des résultats et qui embauchent. On voit encore trop souvent des sociétés qui disent être des champions de la croissance et qui ont des croissances à deux chiffres depuis plusieurs années sur le chiffre d’affaires, mais qui, lorsque l’on creuse, ont des résultats courants catastrophiques.
Nous avons, de notre côté, toujours mis un point d’honneur à avoir une croissance de nos fonds propres, à être accompagnés par nos partenaires institutionnels. La BPI est un gros partenaire de Coppernic qui permet de nous développe et d’investir, la Société Générale, notre partenaire historique bancaire également. Il faut qu’ils aient confiance, pas forcément dans les entreprises qui affichent un énorme chiffre d’affaires, mais dans des sociétés qui ont une base solide avec un dégagement de résultats tous les ans, avec des embauches.
Pour les entrepreneurs, l’entrepreneuriat c’est forcément du risque, mais le risque c’est toujours le plus complexe dans nos métiers. Je pense que nous avons un peu trop tardé à nous entourer de personnes importantes avec des profils seniors, pour des postes clés. On a envie de tout faire, de tout connaître mais il faut faire confiance à ses équipes, être conscient que l’on ne peut pas tout savoir et s’entourer des bonnes personnes dans l’organisme de gouvernance.
À titre personnel, investissez-vous dans des entreprises ?
Ce n’est pas l’envie qui manque. Pour l’instant, nous nous sommes focalisés sur la croissance organique, mais nous sommes à l’écoute, on regarde. Maintenant, pour ça, il faut avoir les reins solides. Notre projet est d’avoir 20 millions d’euros de chiffre d’affaires fin 2022. La crise l’aura peut-être retardé. Aujourd’hui, on a la structure pour atteindre ce chiffre, et à partir de là, oui, on va s’atteler à voir comment on peut grossir de manière externe.
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