Matthieu Poitevin est un architecte bien connu à Marseille pour avoir notamment remodelé la Friche de la Belle de Mai. Impertinent et poète, il est finalement à l’image de la ville. Il nous livre sa vision de l’urbanisme et de l’aménagement en proie à un renouveau singulier autour d’une architecture des possibles. Entretien
Bonjour, pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours ?
Ce qui m’intéresse : un peu d’insolence, poser des questions et de changer des choses qui sont standardisées. C’est pour ça que j’ai choisi ce métier. Quand on a 18 ans, on veut changer le monde. Je suis peut-être un peu bête dans ma tête car je veux encore changer les choses.
Changer les choses : c’est possible de changer les choses à Marseille ?
C’est pas possible, c’est même fondamental ! Cela fait 25 ans que les choses n’ont pas bougé. Mais la ville a besoin de mouvements pour pouvoir avancer sinon elle stagne, et commence à mourir. Marseille a un besoin viscéral de mouvements et d’inventions.
Vous trouvez qu’avec l’architecture de la ville, c’est faisable ? Pensez-vous qu’il y a la place pour l’aspiration poétique et philosophique que vous décrivez ?
L’étymologie du mot poésie vient du grec qui veut dire création. Je pense que l’architecture repose sur la création et que Marseille a la chance d’être une ville qui résiste à l’ordre. L’ordre c’est ce qui empêche aux choses d’advenir. La ville a une géographie compliquée et une population compliquée et des règlementations qui ne cessent de changer. Tout ça permet de trouver des angles d’attaque avec lesquels il y a des petites zones d’oubli dans lesquelles son identité, qui est profonde, ancienne et marquée trouve des refuges et petit à petit trouve une façon de se développer. Tout a été fait pour qu’elle soit bien cachée sous des tonnes de béton. Mais ! Il y a toujours une petite fleur qui résiste.
Un peu comme Pablo Neruda qui disait : « Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront jamais le printemps ! »
Exactement. Mais je pense que c’est ce qui est en train de se passer aujourd’hui paradoxalement.
Comment qualifierez-vous le position de votre agence Caractère spécial ?
C’est une agence qui cherche les fleurs dans des amas de béton de toutes les couleurs et dehjni toutes les formes. De leur faire un peu de place pour que ces fleurs prennent racine. On est là pour indiquer le sens des choses et ensuite laisser faire. Ensuite, ce que l’on essaye de faire c’est revendiquer des formes, des manières et des postures qui me semblent justes. J’ai une très haute opinion de mon métier. La ville c’est là où l’on habite, et habiter c’est important.
Les architectes ont été considérés comme des peintres en bâtiment, comme la dernière roue du carrosse du projet, et ce que j’essaye de faire c’est comprendre le site où je me trouve pour que cette dernière roue du carrosse devienne le moteur d’une certaine manière.
Vous avez dit que c’était en ce moment. Pourquoi en ce moment ? Le changement de municipalité ? Les gens ?
Cette nouvelle municipalité est arrivée parce que les gens ont besoin d’autre chose. Les 25 ans d’un système politique qui a fini par tourner en rond était à bout de souffle. Il fallait que Marseille ait son identité méditerranéenne, son identité extravertie, son identité romantique, ça prend du temps. Il faut mettre en adéquation des idées généreuses et belles, et une économie qui cherche la rentabilité. Tant que l’on est dans ce système là, il faut trouver des points d’entente et d’équilibre pour que la ville puisse se développer en fonction de ce qu’elle est et pas en fonction de modèles qui ne lui conviennent pas.
En ce moment, y-a-t-il la place pour un nouveau modèle ? Les élites économiques sont-elles prêtes à changer la rentabilité comme critère premier dans l’investissement ?
Pas toutes. Les boites qui font les plus grosses marges sont les plus cyniques, mais je pense que l’on ne peut pas présenter aujourd’hui des projets qui ne sont que des produits et qui font des économies partout au détriment des habitants et des usagers. Même les promoteurs aujourd’hui s’aperçoivent que la qualité des appartements, la qualité des places publiques, des espaces partagés sont aussi des valeurs qui donnent de la valeur ajoutée aux constructions. Petit à petit, ces paradigmes de l’ancien temps des promoteurs sont en train de changer, je le suppose, je le souhaite et je le sens. Je réalise des projets que je ne faisais pas il y a encore 2 ou 3 ans. En plus, le confinement a beaucoup aidé à ce que les gens se recentrent sur ce qu’ils sont et ce qu’ils souhaitent et pour ma partie, où les architectes travaillaient partout tout le temps sans savoir vraiment de quoi le site et quel projet, ce temps est révolu. On a plus besoin de travailler avec des gens qui connaissent, le lieu, l’endroit, les gens, le climat pour proposer des solutions qui soient adéquates.
Votre think tank est devenue un do tank, pouvez-vous nous en dire plus ?
Le think tank que l’on avait réalisé le 5 septembre, était un lieu, un besoin de se retrouver, de communier. ça s’est transformé en banquet géant. Plutôt que de parler de la ville, on va la faire. Plutôt que de parler de Marseille, de manière égocentrique, on va inviter d’autres endroits pour que Marseille devienne la capitale européenne et mondiale de l’architecture des possibles. On s’est dit qu’on allait inviter des villes comme Lille, Strasbourg, Nantes, Saint-Etienne, Marseille, Beyrouth et Athènes à réfléchir ensemble sur une journée lors d’un atelier géant de création urbaine pour réparer la ville.
Vous allez réitérer l’expérience ?
Oui ! J’aimerais en faire un lieu récurrent à Marseille; un évènement annuel qui marquera l’architecture internationale des possibles. Aujourd’hui on a le soutien de la ville, des élues comme Olivia Fortin et Mathilde Chaboche, d’Euromediterranée et de beaucoup de promoteurs
Quels sont vos modèles d’inspiration actuellement ?
Je n’en ai pas. A part ceux que je rencontre, les gens de la rue, les gens que je côtoie. L’intelligence à tous les degrés. Je suis inspiré par tous ceux qui arrivent à mettre en accord leur volonté et leurs propositions. Ceux qui sont dans la réalisation de leurs rêves. Je déteste le cynisme, le renoncement et toutes les formes d’hypocrisie, de quelques façons que ce soit. Donc tous ceux qui ont la volonté de faire.
Ce sont les résistants à l’ordre établi qui m’intéressent !
Aujourd’hui Marseille est très attractive. Son attractivité a un impact sur l’urbanisme, les logements et l’aménagement ?
A plus d’un titre, Marseille est ségréguée, elle n’est pas populaire, elle est ségréguée entre les quartiers les plus pauvres d’Europe et les quartiers riches. Cette attractivité n’a pas comblé cette faille, au contraire, il n’y a plus rien à vendre dans le 8ème arrondissement. Le confinement a démontré que les gens dans les villes étaient très inquiets donc ils ont besoin d’espace, de soleil et de mer. Dans les quartiers dits populaires ou accessibles, comme la Belle de Mai, ou les Crottes, le nom ne s’invente pas, il y a beaucoup de jeunes qui viennent de Bordeaux, du centre de la France, de Paris et qui viennent s’installer à Marseille.
On n’en parle pas beaucoup, mais Marseille est en train de devenir une plaque tournante de la culture et de la jeune culture en Europe. Je pense que le renouveau viendra par là.
L’engouement à l’achat de ces nouveaux arrivants est-il porteur de renouveau ?
Ben oui, parce que lorsque les gens achètent, ils font des travaux et les travaux qu’ils font améliorent les bâtiments. Donc les marchants de sommeil ou les bailleurs sociaux qui ne faisaient pas beaucoup de travaux reculent un peu. On en est à vendre des niveaux de parking qui n’existaient pas. Cette ville vend tout ce qu’elle a ,tout le temps. Mais on n’a pas résolu encore le problème entre l’hyper-centre, le problème des quartiers Nord qui sont toujours détachés de la ville.
C’est ça la vraie frontière : réconcilier la ville constituée et celle qui n’est pas constituée avec des immeubles qui sont des R+20 ou +25 qui ont un rapport au sol catastrophique. Tout dépend du sol finalement. Tout dépend de ce qui se passe au rez-de-chaussée. Tout dépend du degré d’attirance et d’appartenance que l’on peut avoir avec le sol. Cette notion du sol est importante, elle renvoie à une architecture tellurique, qui vient du sol, qui ne peut avoir de sens et de signification qu’à partir du moment où l’on prend le temps de comprendre et de composer avec l’ensemble des éléments pour que les choses se fassent.
L’une des grands différences entre : on ne peut plus rien imposer. On peut proposer et on doit laisser les choses faire. On n’a pas d’autres choix.
Comment envisagez-vous la végétalisation de Marseille ?
Ca pose beaucoup de question. La végétalisation est un élément pacificateur c’est évident, ensuite il y a des contraintes de sécurité. Pour être efficace il faut être proche de l’immeuble et en termes de règlementation incendie il faut être en retrait. Donc l’impact climatique de l’arbre dans la rue n’a que très peu d’incidence climatique sur la manière dont on construit les immeubles. Maintenant c’est important de considérer la végétation à partir de l’empreinte carbone, car elle consomme beaucoup d’eau et c’est une denrée rare dans les pays méditerranéens.
On prend beaucoup exemple sur les villes du Nord qui n’ont pas ce problème d’eau ni de surchauffe, on devrait mieux se pencher sur des villes qui connaissent des climats arides et chauds depuis longtemps et qui ont réussi à construire.
Si l’on prend des villes comme Séville ou des villages de l’Atlas ou du Maroc, on voit que c’est de la terre ou de la pierre et pas du béton, et que tout est construit autour du patio. Le patio permet de travailler avec de l’ombre et donc de végétaliser, et de rafraîchir la ville.
Il faut retrouver les fondements méditerranéens pour travailler sur le sens climatique et écologique d’une construction et oublier un temps soit peu la rentabilité financière de la surface de plancher. La végétalisation ne peut pas être définie autrement que par la matérialité des constructions qui seront faites dans les prochaines années.
Quelle architecture pour traverser le temps ?
Si l’ont revient à l’architecture qui est tellurique, je ne suis pas certain qu’elle doit traverser le temps. Dans les expérimentations, on a des constructions biodégradables, on constate que l’on travaille sur un urbanisme qui s’auto-détruit. Un peu comme des cabanes, une construction éphémère qui révèle un endroit pour un temps et ensuite disparaît. Le lieu devient alors autre chose par la mémoire de ce que, ce qui signifie sortir de la patrimonialisation qui reste une vision très occidentale. Ensuite, ça passe par utiliser des matériaux qui nous entourent, des matériaux qui vont absorber la lumière et révéler l’environnement, en écho avec l’architecture tellurique. Ce qui est inconcevable c’est le verre qui est une aberration climatique, écologique et le béton qui ne sait rien faire avec la lumière. Il ne sait pas jouer, ça reste un matériau inévitable pour le gros-oeuvre, la structure mais il ne peut plus être un matériau de remplissage de façade.
Vous aimez citer Mallarmé : « peindre, non la chose, mais l’effet qu’elle produit.» Finalement on ne se souvient pas d’une chose mais de la sensation qu’elle nous procure. Quel effet vous produit Marseille ?
C’est compliqué, j’y suis né, j’y travaille, j’y vis. Je me sens complètement marseillais mais en même temps tout m’agace, la vulgarité, l’incivisme, mais c’est ma ville. Donc je suis agacé parce que je l’aime. Je suis agacé de voir encore malgré tout la force de l’inertie à ne pas valoriser ce qui devrait l’être. Mais je crois que ça va changer. Ca ne peut changer que par des actions de la société civile, et pas par des actions de politiques publiques.
Nos lecteurs sont des entrepreneurs et investisseurs, que souhaiteriez-vous leur dire ?
Bonjour ! Ca va ? (rire)
Leur dire, qu’il n’y a pas de ville en France qui ait un plus gros potentiel aujourd’hui. Ca reste la ville de France dans laquelle les potentialités d’inventer une autre façon plus contemporaine et moderne de vivre est possible.